Analyser le langage de l’élève

L’ analyse du langage de l’élève

Cet article cherche à vous montrer en quoi et comment l’analyse du langage des élèves peut se construire. Il sera complété par la suite par des analyses plus ciblées d’élèves ou de situations.

Pour analyser le discours d’un élève on ne regarde pas les mêmes catégories de langage que lors de l’analyse d’un texte.

De plus, suivant le registre d’expression de cet élève, on ne trouvera pas les mêmes catégories.

Il y a donc nécessité de se placer dans le contexte de la situation et de ne pas accorder de l’importance à toutes catégories ou mises en relation, de la même façon , suivant ce qui va être analysé.

L’objectif de ces analyses est de trouver en quoi il y a possibilité de comprendre ce que l’enfant croit, sait ou comprend et comment , afin de pouvoir l’aider et de compléter ce qui lui manque.

Un enfant qui raconte un album qu’on lui a lu ou raconté , un enfant qui raconte une situation  vécue, utilise un langage d’évocation. Il s’appuie sur ses souvenirs , ses émotions.

Un élève qui présente une construction cherche à situer les étapes de sa construction et à présenter ses intentions.

Un enfant qui raconte sa séance de piscine traduira ses émotions et ses déplacements .

Un enfant qui voudrait proposer ou réaliser quelque chose cherchera à convaincre et à expliquer le pourquoi et le comment de son projet .

Les catégories de langage à prendre en compte seront donc différentes suivant les situations et suivant les élèves…

Le langage traduit la complexité de la personne :

Un enfant ou un élève qui s’exprime traduit de façon implicite plusieurs dimensions de sa personne :
– Un niveau de connaissances , qui se traduira par l’usage d’un vocabulaire particulier
– Un registre de modulateurs : les mots qui expriment l’appréciation subjective d’un fait ou d’une situation
– Un nombre de connecteurs : les mots qui montrent en quoi ou comment les idées sont reliées
– Des formes et des temps de conjugaison qui traduisent comment les choses ont été comprises dans leur chronologie et donc comment le déroulement des faits a été perçu par cet élève.
L’ analyse du discours de l’élève met à jour une dimension psychologique qui révèle le ressenti, la perception de l’autre et de ses intentions, les croyances.
Elle montre comment cet élève se construit, à quoi cet élève attache de l’importance et pourquoi.
Elle permet aussi de rendre visible un niveau de développement de la pensée , un raisonnement qui s’appuie sur des capacités différentes pour chacun.

Le contexte et le domaine influent

Pour chaque discours , le contexte est à prendre en compte, ainsi que le domaine particulier dans lequel il se situe parce que chaque expression sera différente et se situe à un moment donné. Ce n’est qu’au fur et à mesure des analyses des discours que l’on pourra essayer de comprendre ce que ce discours révèle.
Dans un même situation les discours des élèves seront différents et c’est parfois ce qu’un élève aura dit de ce qu’il a compris , ou non, qui permettra de comprendre ce que disait un autre élève de cette même situation.
D’autre part, dans une situation donnée, un élève peut apparaitre compétent, assuré et utiliser un registre de langage complexe alors que, dans une autre situation, il utilisera un discours beaucoup plus restreint parce qu’il ne se sentira pas aussi à l’aise pour des raisons qui peuvent être reliées seulement au contexte.
Ces analyses sont à prendre avec beaucoup de distance et de précaution. Elles ne cherchent en aucune façon à enfermer un élève dans une image figée. Elles ont pour objectif d’essayer de comprendre ce qui peut faire obstacle à la compréhension de l’élève.

Le langage de l’Élève : permet de voir comment fonctionne sa pensée :

Ou en est-il de son développement ?
Utilise-t-il la réversibilité de la pensée ; a-t-il construit un point de vue ? Se réfère – t-il à du concret , à du vécu, à de l’imaginaire ?
Se réfère-t-il à des catégories du réel , à des catégories abstraites , à un langage formel ?
A des propriétés perceptibles , à des relations connues , à des mises en relation qu’il construit ?
Construit-il des généralisations ? Sur quoi ?
Formule-t-il des hypothèses, des arguments ?
Son rapport à la langue :
Utilise-t-il fréquemment et correctement les catégories habituelles : noms communs, adjectifs, adverbes ?
Utilise-t-il des catégories particulières ?
Quels temps utilise-t-il ?
La dimension psychologique :
Utilise-t-il des catégories particulières ? Superlatifs, comparatifs, de quelle nature ?
Se situe-t-il dans la norme qui structure ou dans celle qui contraint ?
Se situe-t-il fréquemment et comment par rapport à d’autres ?

Les catégories de langage :

-Les connecteurs : ils relient , ils permettent de voir sur quelles bases la mise en relation est réalisée : le temps, la cause, la fonction, le complément d’information (qui, que, quand , où, combien, c’est comme )
Les modulateurs : ils situent, précisent, et donnent l’appréciation de celui qui parle : adjectifs,
prépositions, adverbes, comparatifs, superlatifs, possessifs : le mien, plus grand, pas joli, avant lui, minuscule, jaune foncé, à côté.
L’utilisation de nombreux mots normatifs traduit souvent un rapport à l’erreur mal vécu, une insécurité ou au contraire le besoin de s’affirmer.
-Le point de vue : des verbes, des pronoms, des expressions qui montrent que le point de vue se développe ou que celui de l’autre est pris en compte, et comment : je pense que, lui, il a dit que, il a fait comme ça parce que
Les temps utilisés permettent souvent de voir où en est l’enfant dans le développement de son raisonnement.
Le constat de ces différentes catégories du langage permet souvent de comprendre comment fonctionne la pensée de l’enfant , sur quelles bases et de situer plus précisément les catégories qui lui manquent.
Un enfant qui n’utilise pas les prépositions a parfois un rapport à l’espace qu’il faut développer. On pourra lui proposer le jeu du matelas, la présentation de ses constructions.
Un élève qui n’utilise pas le plus que parfait n’a souvent pas encore la réversibilité de la pensée. On pourra lui raconter des évènements ou des histoires qui le feront naviguer dans trois temps, en lui donnant les liens et des explications fournies.
Un enfant qui n’utilise pas le parce que est souvent un élève qui ne sait pas mettre en relation l’évènement et la cause qui l’a produit. On peut donc lui proposer des expériences ou manipulations et lui demander de formuler ce qu’il constate et lui faire dire pourquoi.
Un enfant qui déroule les relatives ou conjonctives dans un ordre décousu a souvent besoin qu’on l’aide à reconstruire les étapes ou qu’on l’aide à resituer les causes et les effets.
Un enfant qui utilise beaucoup d’adverbes ou de comparatifs possède souvent un niveau de raisonnement qui lui permet une compréhension fine de ce qu’il rencontre.

Des situations d’analyse

Raconter une histoire

Un enfant  de moyenne section de maternelle  raconte Boucle d’ Or :
« En fait ça raconte Boucle d’Or qui s’est perdue dans le bois et tous les chemins étaient pareils. Après, il a vu la maison des 3 ours, è l’a mangé tout la soupe du petit bol, elle a vu 3 lits : un grand, 1 moyen, et 1 petit. Et après , è l’a retrouvé sa maison.
Analyse : Peu de phrases mais des phrases correctes. Vocabulaire repris: petit, moyen, grand.
Le point de vue est exprimé avec distance et peut-être avec la volonté de répondre uniquement à une consigne.
Il y a présentation dès le départ d’une généralisation : ça raconte…
Beaucoup de termes relève d’une généralisation : tous les chemins, les 3 ours, les 3 lits.
Seuls les d’événements jugés essentiels sont cités et avec peu de détails. Cela construit une cohérence de l’action de Boucle d’Or uniquement.
Les actions des 3 ours ne sont pas nommées. Les sentiments des personnages , et du coup leurs conséquences , ne sont pas évoqués.
On peut supposer soit que cet élève n’a pas été intéressé par l’histoire, soit qu’il la connait peu ou trop, soit qu’il n’avait pas envie de la raconter …

Expliquer la règle d’ un jeu de société

Un élève de grande section de maternelle parle d’un un sudoku avec des images

« En fait, faut poser 7 cartes et puis après et ben faut pas les mettre côte à côte et puis j’sais plus. »

Analyse : Le jeu est défini par l’action : poser, mettre.
La règle est définie par une négation : faut pas , et par une condition de placement : mettre côte à cote.
Le nombre 7 pourrait être relié à une confusion avec la prononciation du nombre 16. Ce qui suppose que le cardinal de ces deux nombres ne soit pas construit .
Il n’y a pas prise en compte de la nécessité de la combinaison des places , ni de la nécessité de la différence des cartes sur une même ligne ou une même colonne.

Cet élève a compris le jeu sur un seul critère de placement : pas cote à cote.

Un autre élève de la même classe:

« En poser les 16 cartes sous la forme d’un carré. Aussi, i faut 4 feuilles mais pas dans la même ligne pareil et des colonnes et puis aussi pas les mêmes côte à côte et i faut pas les mettre les mêmes espèces côte à côte.  »
Analyse : Le jeu est défini par l’action : poser, mettre , par le nombre total de cartes : 16 et par une forme générale : le carré.
La règle est raccordée au fait d’avoir 4 « feuilles » et à la différence de leur placement dans les lignes et colonnes.
La notion de combinaison apparait dans la prise en compte simultanée de : pas les mêmes et pas les mêmes espèces cote à cote.

Cet élève a compris toutes les dimensions du jeu.

Un troisième élève :

« En fait, on doit faire 1 carré, pas la même carte dans la même ligne ou la même colonne. Et puis si c’est même carte qui sont comme ça, ça s’colle pas donc on n’est pas obligé. Et puis aussi c’est pas obligé qu’on déplace les cartes si c’est comme ça. »
Analyse : Le jeu est défini par rapport à faire , faire un carré. Ce carré semble défini ensuite par ligne et colonne.
La notion d’obligation est importante et définie en négation.

Deux hypothèses sont évoquées par si, une déduction est énoncée par: donc  .

Cet élève met en relation une cause et un effet.Il a compris le jeu et il est capable de faire varier la situation.

Expliquer, donner  une réponse complexe… quelles mises en relation ?

En CE 2 : Quelles sont les bouteilles qui contiennent le plus d’eau ?

 » On a vu que c’est pas par rapport à la longueur, à la largeur. C’est pas parce qu’elle est longue qu’elle peut contenir plus d’eau.  »

Analyse : Mise en relation longueur ( = hauteur ?) et quantité. Cette élève commence à sortir de la perception immédiate mais ne peut donner une autre explication.

 » Pour savoir qu’elle est la bouteille qui contient le plus d’eau, faut voir les litres sur les bouteilles.  »

Analyse:  Mise en relation quantité et lecture du code : des litres. Cette élève ne se situe pas dans la perception de la forme ou de la taille de la bouteille. Elle attache de l’importance à la lecture du code qu’elle situe comme élément de référence. Elle n’énonce pas de précision numérique précise sur cette lecture.

 » Cindy,  è nous avait dit c’est pas les longues qui contiennent les plus, c’est pas non plus grosses, ce sont les litres qui nous disent si y en a plus que les autres ou moins.  »

Analyse : Prise en compte de ce de ce qui a été dit par d’autres.
Mise en relation de longueur et grosseur , distinguées, et quantité ;
Mise en relation et opposition entre deux relations abstraites : ce n’est ni la longueur , ni la grosseur qu’il faut prendre en compte mais la lecture du code.

Cette élève est sortie de la perception immédiate. Elle prend en compte une mesure de référence: les litres; mais elle ne précise pas cette référence au niveau numérique.

 » Avec Julie, au début, on avait mis les petites bouteilles et après on a fait du plus grand au plus petit. Mais après Cindy, elle est venue nous expliquer que fallait regarder les litres sinon ça n’allait pas marcher parce que on n’aurait plus d’eau. »

Analyse: Les étapes du déroulement des faits sont nommées et le point de vue de l’autre est pris en compte pour opérer un changement.
L’acceptation d’un autre point de vue est reliée à une conséquence concrète, un résultat du réel : plus d’eau…
Faut pas regarder la grosseur ou la plus grande, i faut les litres ou les millilitres.
Norme de référence non explicitée ; peut-être reprise de ce qui a été entendu

 » On met dans les autres bouteilles et après on regarde ce qui se passe. On regarde laquelle est la plus remplie. On regarde si on peut mettre le même niveau d’eau. »

Analyse : Description de constats et de leurs résultats ; mise en relation quantité d’eau et remplie ; notion de niveau et d’égalité de niveau sur une base perceptive.

Cet élève a besoin de vérifier par la perception; il se réfère au niveau de l’eau.

Carrés et rectangle en CE 1 :

Après découpage : les morceaux obtenus pour la feuille rose et la feuille orange sont-ils les mêmes ?

« Sur celle-là, je me suis trompée sur la grande feuille parce que en fait j’ai fait un plus petit morceau que sur les aut’. Non, sur la petite, c’est des carrés. Sur la grande, c’est des rectangles. »

Analyse: Énonciation d’une erreur qui semble acceptée. Prend en compte la taille du morceau .

Cette élève affirme des croyances sur les formes géométriques qu’elle n’explicite pas .

 » Non parce que là c’est plus petit et là c’est un peu plus grand (taille des morceaux). Parce que ceux-là, y a les bords qui sont de la même taille et celui-là y a les deux petits et les deux aut’ côtés, c’est plus grand. Et celui-là i sont de la même taille. « 

Analyse : Tout est défini par rapport à la  » taille  » qui est en fait d’abord la surface du morceau puis ensuite la longueur ou la largeur du morceau.

Cet élève situe les formes géométriques par rapport à la longueur des côtés mais elle en reste à une définition perçue.

 » Non parce qu’en fait j’ai pas bien mesuré. En fait, j’ai pris la règle, j’ai regardé les numéros.  »

Analyse: La mesure est prise en compte mais les chiffres ne sont pas des nombres mais des numéros. Cela peut expliquer les difficultés.

Cet élève prend la mesure comme référence mais ne situe pas la mise en correspondance de la longueur des cotés par rapport à la forme géométrique.

Consigne : construire et découper un carré et un rectangle (choix de feuilles blanches, à petits ou grands carreaux)
Lesquels sont des carrés ? Comment les reconnais-tu ?
Lesquels sont des rectangles ? Comment les reconnais-tu ?

 » Parce que c’est un carré parce que ça a pas la même forme que le rectangle parce que y a quatre côtés. (rectangle ?) oui parce que ça a pas la même forme que le carré, parce que le carré est plus petit que le rectangle. « 

Analyse:  La forme est prise comme élément de référence ; d’abord elle reliée à l’existence de 4 cotés;  puis pour   le carré elle est reliée à une perception de la taille : plus petit.

Cet élève ne possède pas encore de référence autre que la perception globale de la forme et se situe dans la croyance

 »  (carré ?) parce que y a quatre pointes et quatre côtés. (rectangle ?) parce qu’il est long et puis il est plus aplati.

Analyse : prise en compte d’éléments de références précis: 4 pointes, 4 cotés.

Cet élève commence à distinguer l’importance d’attributs spécifiques. Mais la perception de la forme globale reste prégnante: plus long et plus aplati.

 » Un carré, ça a quatre côtés mais la même taille. Et un rectangle, en haut, c’est plus petit, en bas aussi,. Sur les côtés, c’est grand.  »

Analyse: Prise en compte des 4 cotés et de leur longueur identique pour le carré.

Cette élève a distingué les deux caractéristiques du carré au niveau de la longueur des cotés. Elle situe aussi le fait que deux des cotés du rectangle sont grands. Elle est donc capable de distinguer et de prendre en compte des attributs spécifiques et elle en tire une généralisation: un carré , ça a 4 cotés…. Elle est capable de comprendre une définition. Il reste à vérifier comment elle va relier longueur et mesure.

 » J’ai compté ceux-là devant, j’ai compté 7. Et sur les côtés j’ai compté 6.  »

Analyse: Prise en compte d’une mesure de longueur : 7, 6, . Les cotés sont distingués par 2: devant, sur les cotés.

Cet élève a construit la spécificité du carré au niveau de la longueur de ses cotés et il le justifie par la mesure . Il reste à vérifier si cette capacité reste limitée à une construction momentanée ou s’il peut en donner une définition qui généralise à tous les carrés.

Un commentaire sur “Analyser le langage de l’élève

Laisser un commentaire