Quelle pédagogie alternative dans l’école publique aujourd’hui ?

Cette question est posée comme préalable au Salon qui se tiendra à Nantes le 25 novembre 2017.

Dans cet article vous trouverez une réponse qui cible ce que, de mon point de vue, la pédagogie Freinet peut offrir aujourd’hui.

Je situe des conditions d’enseignement dans une classe qui pratique la pédagogie Freinet . Je mentionne ensuite comment le rapport au savoir peut  situer en quoi cette pédagogie est alternative dans l’école publique aujourd’hui.

Je termine par un plaidoyer pour une pédagogie et un Salon qui s’engagent pour l’avenir….

Les conditions de la Pédagogie Freinet

1- Une vie de classe coopérative

La pédagogie Freinet suppose un rapport particulier à la situation d’enseignement et à la conception de la construction des apprentissages. L’élève n’est pas considéré comme un réceptacle que l’on remplit d’un savoir qui lui est apporté par le maitre.

L’élève est un enfant dont on respecte le rythme et le développement. On privilégie le tâtonnement expérimental de chaque élève. Ce qui signifie que c’est souvent à partir de ses questions et de ses intérêts que les projets de classe se construisent.

Le groupe classe prend lui aussi une autre dimension. Les élèves apprennent à vivre ensemble et à décider ensemble de ce qui est possible ou non. Une réunion de classe coopérative permet l’élaboration de projets qui peuvent être réalisés de façon individuelle ou collective.

Le Programme officiel est donc travaillé en donnant place à la participation et l’adhésion des élèves.

2 – Un élève qui questionne le savoir

Cette vie de classe détermine un rapport au savoir particulier. L’enfant n’est pas considéré comme un réceptacle qui se remplit d’informations ou qui reproduit des modèles ou des savoir-faire.

Il est acteur dans le sens où il peut choisir les accès et les conditions de son rapport au savoir. Il peut décider d’adhérer ou non à telle ou telle forme de travail ou de projet .

Il est auteur puisque c’est souvent à partir de ses propositions que les projets vont prendre forme.

Il est aussi adhérent et mobilisé parce que les situations de travail sont explicites et qu’il en perçoit l’intérêt et la finalité.

Il est également membre d’une collectivité à l’intérieur de laquelle il prend une place.

Il peut ainsi construire une reconnaissance de ses capacités à dire, écouter, proposer, argumenter et faire…   Son rapport au savoir se construit en lien avec son rapport aux autres. Il peut s’enrichir de la richesse de la différence des propositions, exemples, arguments qui sont apportés par ses pairs. Quand il réalise une recherche seul, elle sera très souvent présentée au groupe et soumise au questionnement. Le développement de la pensée de l’enfant se réalise parce qu’il est un élève, qu’il est très souvent confronté  au conflit cognitif et à la nécessité d’expliciter le pourquoi ou le comment de sa proposition, quelle qu’en soit la nature. Il se transforme. Il apprend.

Un enseignant qui se forme

Cela détermine une autre posture pour l’enseignant.

Cela lui demande de construire une autre représentation du rapport au savoir et des situations d’enseignement.

L’enseignant ne peut plus considérer une notion comme un tout qui se découpe en unités qu’il va programmer pour les présenter une par une . Il va se former pour comprendre comment chaque notion est un système qui fonctionne en fonction de certains éléments, de certaines mises en relation qu’il aura en tête quand cette notion sera rencontrée lors d’un projet et sur lesquels il pourra rebondir.

Il se formera aussi pour comprendre en quoi et comment cette notion peut poser problème en fonction du  développement de la pensée de l’enfant.

Il apprendra donc à cibler les obstacles cognitifs qui peuvent naitre soit de la complexité de la notion, soit du fait d’un développement de pensée qui n’est pas encore réalisé. C’est ainsi qu’il pourra permettre que le tâtonnement expérimental de l’enfant  puisse se déployer et que les élèves puissent profiter pleinement des situations de classe.

Cela suppose qu’il soit capable d’entendre ou de proposer des situations de création, de recherche, de bilans, de synthèse qui favorisent l’expression de chacun et qui construisent une culture commune en respectant l’accès de chacun.

Une pédagogie alternative : un rapport au savoir en lien avec la vie

Laisser la place aux propositions des enfants suppose pour l’enseignant une capacité d’adaptation aux élèves mais aussi aux notions à travailler. La pédagogie Freinet est  bien une pédagogie alternative parce qu’elle situe un rapport au savoir que l’Ecole ne favorise pas .

Les enseignants ne sont pas formés à travailler, dans la formation institutionnelle, leurs représentations des savoirs . Ils ajustent le programme en fonction d’un temps imparti mais souvent ils ne savent pas prendre en compte le développement de la pensée de l’enfant. L’enfant est alors classé en difficulté alors qu’il pourrait être considéré comme en développement.

C’est pourtant comme cela que la formation se réalise en Finlande où les enseignants apprennent à s’adapter aux élèves  parce qu’on leur donne les moyens et les conditions pour le faire.

C’est ce qui peut expliquer aussi le succès de la méthode Singapour. Cette méthode a été instaurée en commençant par donner aux enseignants une formation qui remettait en question les représentations du rapport au savoir et des situations d’enseignement.

La pédagogie Freinet suppose donc une formation de l’enseignant qui se réalise petit à petit dans les groupes départementaux, les Salons, les Congrès, les stages qui sont proposés par l’ICEM  le mouvement Freinet .

L’école publique aujourd’hui

La pédagogie Freinet suppose aussi une bascule qui est fondamentale. Le rapport au savoir ne se construit pas seulement sur la priorité de la parole donnée aux enfants. Il se construit aussi sur une priorité accordée au rapport avec la vie. C’est à ce niveau qu’on retrouve aujourd’hui une différence essentielle dans l’école publique.

Illich disait que l’Ecole apprend à l’élève ce que l’Institution veut lui apprendre et qu’elle le forme à penser qu’il a besoin de l’Institution pour apprendre. Elle certifie par des diplômes des savoirs extérieurs à la vie. Elle sépare ainsi l’élève de la vie et des savoirs faire pratiques qu’elle dévalorise.

Bourdieu parle de la reproduction à l’école d’un système qui favoriserait les héritiers naturels de ce système : ceux qui en possèdent les codes parce qu’ils appartiennent à des classes sociales favorisées.

L’école publique d’aujourd’hui permet à tous les enfants d’être scolarisés. Mais les statistiques montrent que l’école française a la particularité de pratiquer une ségrégation sociale de plus en plus importante. Les enfants des classes populaires  sont de moins en moins nombreux à accéder aux études supérieures et à des emplois valorisé socialement.

La vie des enfants d’aujourd’hui n’est plus la même. Les enfants des classes populaires ne vivent plus à la campagne mais souvent dans des quartiers urbains de banlieue.

Le rapport à l’enfant n’est plus le même. Les enfants ne sont plus considérés de la même façon. Ils ne sont plus mis au travail dès le plus jeune âge à la maison, dans les champs ou près des animaux. On cherche à les « éveiller » très tôt par des jeux « éducatifs » qui n’ont rien à voir avec le vivant.

Le rapport à l’école n’est plus le même. Les enseignants ne sont plus perçus comme les détenteurs du savoir. Leur autorité, leurs méthodes sont contestées par les parents et la société. Ils sont de plus, du fait de la communication par tous les outils numériques, envahis par des informations et des charges administratives qui parasitent leur travail pédagogique. Des normes contraignantes diminuent, voire empêchent, les accès aux projets et sorties qui favorisent le rapport à la vie. Alors qu’elle donne accès à des informations de plus en plus nombreuses et variées, l’Ecole a  tendance à se refermer de plus en plus sur des savoirs fragmentés, décontextualisés et formels qui sont  inaccessibles pour des enfants qui ne sont pas prêts ou qui n’y ont pas été préparés.

La pédagogie Freinet aujourd’hui

La pédagogie Freinet suppose un engagement militant et une vision politique. Freinet souhaitait construire à l’intérieur de l’école publique une école qui permettrait aux classes populaires d’accéder aux savoirs et que cette école fonctionne sur le mode coopératif , en lien avec la vie ,pour fonder les bases d’une société plus juste. Pratiquer la pédagogie Freinet suppose de s’appuyer sur un rapport à la vie qui est aujourd’hui est dans une tension beaucoup plus importante qu’à l’époque de Freinet.

Cette tension se situe entre la prise en compte de la vie des élèves aujourd’hui et la prise en compte de ce que l’avenir peut leur réserver. La vie des élèves aujourd’hui n’est plus forcément un point d’appui pour construire une culture commune qui respecte l’avenir.

L’expression des élèves se situe maintenant souvent dans ce qui les distingue ou les sépare dans leur vie personnelle. Elle se  développe souvent l’égo ou la performance.

Le rapport à l’imaginaire et au virtuel développe un ancrage qui n’est plus situé dans le rapport au réel. La vie d’aujourd’hui valorise, la toute-puissance : les super pouvoirs, les super héros et elle s’écarte de plus en plus de la perception du réel pour être diffusée par l’intermédiaire d’écrans qui communiquent une information formatée et addictive. On valorise la performance, la satisfaction immédiate, et l’individualisme.

Il devient donc difficile de partir de cette expression personnelle pour construire une culture commune. Les enfants ne sont plus en lien avec le vivant  de manière authentique et active. Ils le vivent de façon extérieure ou différée.

Il y a nécessité de reconstruire ces dimensions du rapport au vivant en donnant une place prépondérante à l’information complexe et à l’esprit critique. Il devient primordial d’aider les enfants à s’ouvrir sur le réel et sur le vivant. De façon paradoxale, ce n’est plus en se penchant sur le proche que les enfants d’aujourd’hui peuvent construire une entrée dans le réel qui est devenu complexe. Il devient essentiel de leur faire connaitre les autres pays, d’autres modes de vie pour qu’ils puissent par comparaison, non pas construire une culture moralisante mais une prise de conscience de la complexité.

Plaidoyer pour une pédagogie et un Salon qui s’engagent pour l’avenir …

C’est bien cette complexité du monde d’aujourd’hui que l’Ecole  ne prend pas en compte. C’est donc sans doute ce qui peut dans la pédagogie Freinet devenir un axe alternatif prépondérant : relier sans cesse le proche et le lointain ; l’ici et l’ailleurs , le passé, le présent et l’avenir et que chaque projet permette de donner place à cette complexité pour que chaque enfant soit préparé à l’avenir.

On entend beaucoup parler de s’inscrire dans le présent. C’est le thème central de tout ce qui touche au développement personnel. Mais la vie ne se conjugue pas au présent. Elle se vit dans le mouvement. Elle prend appui sur le passé qu’elle évoque et traduit pour construire l’avenir. Rester figé dans le présent pour y trouver une satisfaction immédiate ne permet pas de construire la réflexion , la prise de conscience et de forger l’engagement et la responsabilité. La réversibilité de la pensée est nécessaire pour relier les causes et les effets et construire la réflexion .

L’ouragan Irma monte bien en quoi la complexité du monde d’aujourd’hui  n’est pas prise en compte et comment nous n’y sommes pas préparés. On n’a pas anticipé les conséquences du réchauffement climatique. L’eau de mer trop chaude qui donne aux ouragans une puissance qui ne peut que se renforcer. Des bâtiments qui ne sont pas assez solides. Des services de secours et de sécurité qui ne sont pas efficaces et peu présents. Et du coup le retour aux instincts primitifs.

On peut choisir autre chose, une autre façon de construire le futur . Des solutions existent et d’autres sont à trouver.

L’avenir pourrait être source de création si l’école donnait l’envie de réfléchir sur le monde.

Je plaide donc pour une pédagogie Freinet qui s’appuie et revendique cette alternative : un rapport au savoir construit sur une curiosité responsable , sur un questionnement sur le monde et son fonctionnement.

Je plaide pour que notre Salon, et aussi les Congrès et les stages ,développent et revendiquent cet axe de façon prioritaire. Je souhaite que le Salon puisse garder une ouverture  sur les avances de la recherche dans tous les domaines.

Je plaide pour que la coopération soit située au niveau de la vie et pas seulement au niveau de la classe. Je plaide pour qu’on accueille les nouveaux en leur lisant la Charte de l’ICEM mais aussi en revendiquant cette éducation réflexive et engagée sur le monde.

Je plaide pour que les situations qui développent ce rapport au monde soient nombreuses et explicites :

  • que les bibliothèques comportent autant de livres documentaires que d’albums de littérature jeunesse;
  • que les livres sur la nature et le monde trouvent une place essentielle dans la classe pour développer le rapport au savoir;
  • que le journal scolaire trouve sa place dans une correspondance qui partage les connaissances sur le monde et qu’il soit envoyé en France comme à l’étranger ;
  • que les projets puissent se situer dans la recherche de solutions pour construire d’autres pratiques et modes de vie respectueuses des autres , de la vie sur la planète et de l’avenir…
  • que les jardins, dans les écoles ou autour, développent la permaculture et la connaissance de la vie des sols et pas seulement ce qu’il y a dessus ;
  • que les commandes scolaires soient minimalistes et réfléchies avec les élèves et les parents etc….

Je plaide pour un engagement pédagogique qui soit relié prioritairement à un engagement responsable de citoyen du monde.

Cela suppose vraiment un autre rapport au savoir et une volonté d’engagement et de formation sans cesse complétée.

C’est à ce titre que j’essaie, en écrivant sur ce blog, de proposer des pistes de réflexion ou d’analyse, des situations ou outils pédagogiques.

Je ne détiens aucune vérité ni aucune certitude mais je possède la conviction que la pédagogie Freinet peut  offrir des pistes et des solutions alternatives pour permettre que l’école publique s’ouvre sur des possibilités différentes.

Je pense que la pédagogie Freinet possède une force et une ouverture qui portent à  devenir plus réflexifs, plus créateurs, plus coopératifs et peut-être aussi plus solides face aux vents contraires de toutes natures parce qu’elle se réalise ensemble, dans la coopération.

Je ne dis pas que c’est simple ou facile mais qui a dit que la vie était un long fleuve tranquille ? On s’ennuierait…

Voir : les liens de tous les articles de la Rubrique Pédagogie

La  pédagogie Freinet se construit dans l’échange de points de vue , par la parole,  dans l’échange et la coopération avec une visée émancipatrice basée sur de l’explicite .

Vous trouverez, dans la colonne de droite, deux  pages qui vous présentent un tableau récapitulatif de tous les articles du blog, rangés par rubriques, et une page qui vous présente le contenu des « valises » du bandeau latéral par niveau d’âge, afin de vous donner une vision d’ensemble de ce qui est paru dans ce blog.

Si cet article vous a intéressé, n’hésitez pas à vous inscrire sur la News Letter pour recevoir une présentation des prochains articles. Vous pouvez aussi laisser un commentaire , poser des questions ou demander des renseignements.

3 commentaires sur “Quelle pédagogie alternative dans l’école publique aujourd’hui ?

    • Bonjour

      Je connais ce film et je pense que nous marchons dans la même direction.
      En ce qui me concerne j’ai fait le choix de revendiquer la pédagogie Freinet.
      Freinet est, de mon point de vue, le seul qui prenait en compte le développement de la pensée de l’enfant et la volonté de l’inscrire dans un avenir et une société plus juste. Il prenait appui sur le travail et sur le respect de la nature.
      C’est bien tous ces paramètres que je choisis.
      Souvent il me semble qu’on parle de l’enfant ou de la nature mais on ne relie pas forcément cela avec un avenir qui suppose qu’on s’intéresse peut-être moins aux droits qu’aux devoirs que nous avons: le devoir de construire un monde plus équitable, ce qui suppose sans doute d' »avoir » moins et le devoir de respecter la planète, ce qui suppose là aussi une vision politique basée sur un autre mode de développement .
      Ce qui signifie aussi que tout cela est au coeur de nos pratiques en tant qu’enseignant et que les enfants y sont préparés.
      Le mouvement Freinet est fort de sa pérennité et de sa réflexion sur tous ces sujets.
      Je me sens donc appartenir à cette communauté de travail et de réflexion sur des valeurs qui , de mon point de vue, sont fondamentales parce qu’elles permettent de redonner sens à la mission de l’école dans la société. Il s’agit bien d’une vision politique qui une vision pédagogique.
      la démocratie passe, de mon point de vue, par le sens d’une responsabilité de citoyen du monde. Cela suppose l’effort et le souci d’ailleurs.
      Cela suppose de demander moins et de partager plus.
      Ce n’est pas toujours facile , ni à dire, ni à faire…
      Bonne route sur les chemins de campagne
      Françoise

      J’aime

Laisser un commentaire